Homélie de S. E. Card Marc Ouellet

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Très chers amis,

Nous sommes particulièrement bénis aujourd’hui de vivre cette retraite sacerdotale en compagnie du Saint Père, animés par son témoignage et sa parole, heureux de prendre conscience plus profondément de notre vocation à l’Amour, au service de la Parole de Dieu.

À la vielle de la Solennité du Sacré-Cœur et dans le cadre du jubilé de la miséricorde, nous éprouvons à nouveau une grande reconnaissance pour l’amitié du Christ Jésus, qui nous a choisis « pour être avec lui » et pour annoncer sa parole à nos frères. Un regard en arrière après 10, 30 ou 50 années de sacerdoce nous rappelle bien des motifs d’action de grâce et de louange au Seigneur miséricordieux. Ce regard nous laisse peut-être aussi quelques motifs de tristesse due à nos fautes et à notre pauvre réponse à la grâce insigne de notre vocation.

Ce mélange de sentiments contrastés ne doit toutefois pas nous étonner ni nous décevoir, car il nous stimule à renouveler nos décisions fondamentales, comme le suggère saint Ignace de Loyola dans les Exercices, quand il recommande aux retraitants de se représenter la décision à prendre comme nous voudrions la retrouver à l’heure de notre mort. De fait toute notre vie se déploie dans la lumière de la vie éternelle qui éclaire et accompagne toutes nos décisions. Cette retraite est une occasion privilégiée pour renouveler notre « oui » sans réserve à Dieu, c’est à dire  un « oui » à la grâce incomparable de notre baptême qui s’épanouit dans le « oui » de notre réponse à la vocation sacerdotale.

Aujourd’hui notre pauvre faiblesse de pécheur se trouve spécialement prise en charge et secourue par la divine miséricorde si largement offerte et répandue, ce qui confère à l’Eucharistie que nous célébrons une valeur d’appel renouvelé à répondre à l’Amour qui se fait chair par nos mains, appel qui nous relève de nos déceptions et nous emporte dans la réponse d’Amour du Fils à son Père jusqu’à la mort, appel que nous confirme l’Esprit de sainteté dont nous avons été oints à notre ordination par l’imposition des mains.

Cher confrère dans le sacerdoce, « souviens-toi de Jésus Christ, ressuscité d’entre les morts ». Souviens-toi de sa miséricorde à ton égard et de son amitié gratuite dont tu témoignes joyeusement devant les hommes en dispensant gratuitement sa grâce et sa Parole de vérité. Souviens-toi de Jésus Christ qui dépose en ton cœur et sur tes lèvres ses paroles de feu et de sang, ses paroles ultimes, proférées avec son dernier souffle, qui contiennent la Vie plus puissante que toute mort : « Tes péchés sont pardonnés »; ces paroles de miséricorde que tu as multipliées pour tes frères et sœurs à chaque absolution, elles contiennent aussi pour toi à chaque fois une grâce discrète, indirecte, inouïe, la grâce de servir la passion d’amour de l’Époux qui étreint chaque âme touchée par cette Parole rédemptrice et recréatrice.

Cette parole miraculeuse qu’aucune prouesse de ce monde n’égale ni ne dépasse, ne laisse pas celui qui la profère indemne de la blessure qu’elle révèle, même si tant de fois tu l’as prononcée par devoir et médiocrement. Sa blessure d’amour est toujours là, prête à te guérir et à te sanctifier, pourvu que de temps à autre tu te laisses toi-même rencontrer et pardonner par cette Parole de résurrection et de Vie éternelle.

Et que dire de cette autre Parole eschatologique qui t’est confiée pour donner vie au monde, cette Parole qui attire tout dans l’axe de la Croix et de la résurrection, autour de laquelle gravite le cosmos et l’histoire des nations, cette Parole unique qui confond par sa puissance et sa simplicité : « Faites ceci en mémoire de moi ». Oui, faites ceci, prenez le pain et le vin, refaites le Rite que je vous laisse en Testament, mais faites surtout ce qu’il signifie d’Amour absolu pour Dieu et pour toute l’humanité.

« Écoute Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur, et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Voici le second : tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Ce premier et ce second commandement n’en font plus qu’un depuis que Jésus les a unis inséparablement dans sa vie et sa chair crucifiée. Ce commandement nouveau de l’amour est annoncé par nous en paroles et en gestes mais il est surtout effectivement réalisé par la distribution du Corps et du Sang du Christ, suprême communication du don de son Cœur. Si nos propres témoignages d’amour restent toujours en deça de l’exemple du Maître, le don sacramentel que nous célébrons et distribuons aux fidèles est toujours à la hauteur de l’unité parfaite des deux amours : celui pour le Dieu unique et celui pour l’humanité entière rachetée par le sacrifice pascal du Seigneur.

Chers amis de l’Époux, souvenez-vous de la première étreinte qui vous a saisis et ravis à vous-mêmes pour être amis du Christ et humbles instruments de sa grâce; forts de son amitié renouvelée en cette retraite, devenez encore plus « sacrement » de sa charité pastorale offerte à tous sans distinction ni restriction. Souvenez-vous du regard de l’Épouse qui attend de vous que vous serviez le Pasteur et l’Époux en toute pureté et humilité. Ayez confiance en la grâce qui vous habite et vous libère de vous-mêmes. N’ayez pas peur d’aimer en toute liberté tous les fidèles confiés à vos soins, dans l’Esprit de sainteté qui vous renouvelle chaque jour à l’Eucharistie et que le Père de miséricorde vous redonne en abondance en cette année jubilaire.

Avec un profond sentiment de gratitude, faisons maintenant mémoire de l’Amour trinitaire qui descend parmi nous sous la forme de l’Agneau immolé et vainqueur caché sous les signes sacramentels; sa gloire unique  éblouit notre foi, couvre notre faiblesse et nous comble d’allégresse intime et rayonnante par la communion. Comment lui répondre à neuf si ce n’est par notre empressement à porter au monde, sereinement et joyeusement, les merveilles de miséricorde du Père, par le Fils et dans l’Esprit Saint! Que la grâce et l’indulgence du Jubilé nous y consacre! Amen!            

 

Marc Card. Ouellet

Retraite sacerdotale avec le Pape François

2 juin 2016